“La Rose et le Réséda” de Louis Aragon — lu par une sœur d’arme
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Marche du passé
regard lacéré de larmes — le poète écrit. |
Ma curiosité m’a portée cette fois vers un poème dont l’analyse académique esquissait, à sa manière, les liens entre vers et vie de soldat. Si je reconnais la finesse de cette approche, elle m’a semblé parfois s’éloigner du terrain, de la poussière, du souffle partagé. Alors, sans prétention, je vous invite à relire ce poème avec moi — non pour le corriger, mais pour l’habiter autrement. À travers mon expérience militaire, je vous propose un regard vécu, une lecture en cadence, une fraternité en filigrane.
1. Le rythme comme marche intérieure
Dès les premiers vers, quelque chose bat. Une cadence, une pulsation, un pas. Le poème ne s’élève pas comme un chant lyrique, il avance — régulier, fidèle, proche d’une musique militaire. Les quatrains s’enchaînent, chantant en deux tons. Les rimes en -a et -elle tapent du talon sur les pavés, offrant à nos pas un rythme régulier, sans s’emmêler les pieds. Chanter ensemble, c’est respirer en communion, balancer les bras, garder l’équilibre du rythme à suivre. Dans l’armée, le rythme n’est jamais décoratif. Pour les néophytes, il peut évoquer un souffle commun, une forme de cohésion, une mémoire du corps — comme dans les chœurs d’église. Mais pour nous, soldats, le chant est tout autre chose. Il est mémoire des anciens tombés, rappel du risque, appel à la vigilance. Il nous dit que notre métier peut nous conduire à la mort, que notre vie dépend de notre frère d’arme. Qu’importe d’où il vient, il est notre précieux soutien. Aussi, pour ne pas se mettre en danger, on apprend à marcher ensemble. Et le chant, avec ses rimes — comme ici en -elle et -a — donne le pied à poser, le souffle à tenir, le rythme à suivre. C’est grâce à ce repère que nous pouvons rester en vie ensemble. Ce poème est très proche de ce que nous pratiquons en chant militaire. Il nous rappelle l’histoire de deux anciens, dont l’un tombe au combat. On ne sait qui est tombé — croyant ou non — mais on sait qu’il s’agit d’un frère d’arme. Et cela suffit.
2. Le sacrifice sans drapeau, la fraternité sans condition
Dans cette terrible Seconde Guerre mondiale, le poète a vu surgir l’effroi — celui des combats, des corps à terre, des automatismes répétés jusqu’à l’oubli de soi. Là où les pensées futiles s’effacent, la survie commence. Tous les soldats prient alors leur dieu, leur bien-aimé, leur souvenir — pour garder l’espoir, pour tenir, pour ne pas flancher. Et quand la balle fatale atteint l’un des deux, la réalité de la guerre surgit, nue, sans gloire. Le poème partage ce moment délicat et douloureux. Comme les chants que l’on entonne avant d’affronter le danger, il devient un souffle transmis, une parole douce pour dire l’indicible. Le poète comprend que la transmission ne passe pas par les cris, mais par les mots choisis, les vers murmurés, les chants portés. C’est ainsi que l’on parle de la douleur — non pour l’effacer, mais pour la rendre moins horrible, moins seule, moins muette.
3. Une lecture incarnée
Mon regard de novice en poésie, nourri par mon expérience militaire, m’a permis de lire ce poème avec un ressenti proche de celui du poète au moment du combat. En tant que sœur d’arme, il m’était difficile de me limiter à une analyse littéraire et de laisser les stéréotypes façonner une interprétation éloignée du réel. Certes, je n’ai pas vécu la guerre comme lui, mais j’ai été entraînée pour cet exercice. En lisant ce poème, j’ai reconnu très vite le chant, la marche des anciens, et le souvenir de la force de la fraternité militaire. Comme tous les chants de guerre, il n’encourage pas la guerre — il témoigne, avec douceur, de l’horreur vécue. Sans difficulté, mes pas suivaient le rythme des vers, et à chaque rime, le bon pied se posait au sol. Je voyais mes frères, mes pères, luttant pour la paix, sans jamais douter de la force de leur lien. Comme l’auteur, j’aime exprimer mes douleurs à travers des phrases poétiques — pour partager ce qui, autrement, serait insoutenable. Je ne peux empêcher l’ignorant d’expliquer ce qu’il ne connaît pas, ni de chercher dans les vers des interprétations qui n’ont de sens que lorsque la vie n’est pas en jeu. Mais pour les autres — ceux qui pensent que l’armée mérite un regard plus juste — j’espère que ma lecture vous aura permis de ressentir la force qui nous unit, nous, les frères et sœurs d’armes.
Si ce billet vous a touché, je vous invite à relire ce poème à votre rythme. Laissez les rimes guider vos pas, les vers ouvrir vos silences. Et si vous avez connu, de près ou de loin, la marche, le chant, la fraternité — peut-être y entendrez-vous, comme moi, le murmure des anciens. Je vous invite à partager votre lecture, votre ressenti, votre souffle. Car la poésie, comme la marche, se vit mieux ensemble.
Lire "La Rose et le Réséda" de Louis Aragon (poesie-francaise.fr)
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